http://perso.wanadoo.fr/enotero/lien_esp.htm
12 juillet
Tous les médias ont insisté avec raison, amis auditeurs, sur l'importance de l'évènement qu'est la transformation de l'Union Européenne, passée d'un coup de quinze à vingt-cinq états. Les traités nombreux précisent les conditions dans lesquelles seront prises les décisions, que chacun devra appliquer.
Mais il y a un détail technique qui a trop peu été évoqué: la langue dans laquelle se dérouleront les discussions. Certes, des intreprètes compétents seront disponibles, permettant aux Polonais d'argumenter avec les Slovènes, aux Lituaniens de s'opposer aux Tchèques. Mais le détour que cette technique implique nuit terriblement à la rencontre des opinions. La tentation est grande d'utiliser une langue commune.
Permettez-moi un souvenir. J'ai participé à quelques réunions organisées par l'Organisation Mondiale de la Santé à Genève. Des dizaines d'experts réunis représentaient sans doute cinq ou six langues maternelles. Des interprètes étaient à leur poste. Mais il est vite apparu, au cours des premiers échanges, que l'Américain, l'Allemand ou l'Italien avaient une excellente pratique du français. Raison pour laquelle, peut-être, ils avaient été envoyés à Genève. Il a donc été décidé, à l'unanimité, de mener les discussions en français. J'ai pu alors mesurer, moi qui ne suis que francophone, l'extraordinaire avantage que représente le fait de s'exprimer dans sa propre langue, et surtout, de contraindre les autres à l'uitiliser. J'en ai profité sans trop de scrupules ce jour-là, mais j'en garde la conviction que cette inégalité dans l'accès à la parole est profondément scandaleuse.
Le cas de figure dont j'ai alors profité, l'unanimité en faveur du français, se présente à vrai dire bien rarement. Par contre, ce cas de figure est très fréquent pour l'anglais. Américains et Britanniques bénéficient alors d'un avantage dont on ne saurait surestimer l'importance. Tous les autres sont en situation de mobiliser une part de leur intelligence à anticiper les paroles des interprètes à partir du discours original souvent en anglais. Eux, les anglophones, peuvent s'ébrouer dans un espace de fond et de signification qui est leur ambiance permanente. La connivence que cela permet peut l'emporter sur les différences d'opinion à propos des problèmes débattus.
Pour que les divers états de l'Europe soient vraiment à égalité dans les rencontres, il est impératif que la langue commune ne soit celle d'aucun des peuples représentés, pas plus d'ailleurs le français que l'anglais ou que le polonais. Ainsi posé, le problème a une solution évidente: le recours à une langue, dont l'usage n'a jamais été imposé, et qui pourtant existe: l'espéranto.
13 juillet
L'intégration dans l'Union Européenne de nations nouvelles, ayant leur propre langue, pose, amis auditeurs, le problème de la communication, c'est à dire de la mise en commun non seulement des informations, mais des sensations, des émotions. Ce problème semble avoir été jusqu'à présent plus ignoré que résolu, ce qui est la pire des façons d'aborder une difficulté. Elle aboutit à se contenter de la position la plus simple dans l'immédiat, sans se préoccuper des conséquences à long terme.
Or, dans une construction aussi complexe que celle de l'Europe, construction qui engage l'avenir pour de nombreuses générations, il est clair que c'est le long terme qui doit être privilégié. Dans l'immédiat, nous l'avons vu hier, une solution a été peu à peu adoptée, sans avoir été décidée de façon explicite. Elle consiste, soit à passer par l'intermédiaire d'interprètes, ce qui complique les confrontations, soit à imposer de fait à tous l'usage de la langue parlée par la majorité (aujourd'hui, l'anglais). Cette dernière solution est particulièrement dangereuse, par le déséquilibre qu'elle crée.
Une langue en effet n'est pas seulement un moyen d'exprimer une idée, déjà présente dans l'idée de l'orateur, elle est aussi, elle est surtout un moyen de préciser cette idée, de lui donner véritablement une existence.Il est utile ici de réfléchir à cette fonction spécifique du langage.Tant que l'idée n'a pas transité par la grille des mots et des structures grammaticales, elle n'est qu'un fantôme, fantôme prompt à disparaître. Elle a moins de forme qu'un nuage, apporté puis emmené par le vent... Trouver les mots exacts, qui correspondent à cette idée, trouver aussi l'articulation appropriée entre ces mots, fait de ce fantôme un objet réel, souvent beaucoup plus riche de nuances, de sous-entendus, de suggestions que l'intention initiale.
Vocabulaire et règles de grammaire jouent le rôle d'un sculpteur, qui fait d'un bloc indifférencié une statue. Que de fois nous sommes nous-mêmes surpris par le sens de la phrase que nous venons d'écrire ou que nous venons de prononcer... Je crois qu'Edmond Rostand a tort, lorsqu'il fait dire à Cyrano: "Mettant mon coeur à côté du papier, je n'ai plus à présent qu'à le recopier".Non. Formuler, que ce soit par oral ou par écrit, c'est proprement créer et non pas retranscrire passivement ou recopier.
C'est pourquoi il est si important d'exercer les enfants à mettre des mots sur leurs idées. Il faut leur faire comprendre que leurs idées ne sont véritablement les leurs, qu'elles participent à la construction de leur intelligence, seulement une fois qu'elles ont été traduites en phrases.Cette traduction est propre à chaque langue. Celle-ci est donc constitutive de notre façon de penser, et donc elle est constitutive de notre regard sur le monde, et sur nous.
On ne saurait surestimer l'importance de la langue dans la construction de notre structure intellectuelle
15 juillet
Revenons, amis auditeurs, sur les difficultés de compréhension provoquées par la mutiplicité des langues. Difficultés bien mises en évidence dans la Bible par l’épisode de la tour de Babel.
La réalisation de l’Union Européenne se heurte à cette “babélisation”, si coûteuse en temps, et surtout si coûteuse en compréhension, et qui amène à penser que tout serait pour le mieux si tous les pueples parlaient la même langue. Cette conclusion serait je crois, fautive.Chaque langue parlée aujourd’hui est l’aboutissement d’une longue histoire qui se poursuit sous nos yeux. Le français d’aujourd’hui n’est pas celui de Louis XIV ou de François Premier. Cette histoire est indissociable de celle de la Culture, elle-même indissociable des évènements, des paix, des guerres qui ont modelé un peuple. Intervenir de façon délibérée pour rassembler tous les fleuves en un seul lac serait voué à l’échec, mais surtout serait néfaste, car cela uniformiserait les façons de penser.
C’est pourtant ce qui se produit depuis un demi-siècle, avec l’utilisation systématique de mots anglais dans de multiples domaines. Sournoisement, “challenge” remplace “défi”, “booster” remplace “renforcer”. Plus sournoisement encore, les mots nouveaux désignant les objets ou les procédé récemment produits ou imaginés sont systématiquement forgés à partir de racines anglaises. Cela est particulièrement le cas en informatique.
Cette convergence peut à la longue favoriser la pensée unique, mais la pensée unique est en fait, la mort de la pensée.Une stratégie tout autre s’impose. Elle consiste à préserver la diversité des langues, et même à l’encourager, mais à doubler chaque langue d’un outil universel de mise en commun, et par conséquent d’un outil qui ne soit pas le résultat d’une histoire. C’est ce que propose le mouvement en faveur de l’espéranto.
Cette langue a été imaginée par quelqu’un qui avait eu à souffrir des obtsacles provoqués par la multiplicité des langues, le docteur Zamenhof. Il était né à Bialistok, une ville qui est actuellement sitéue en Pologne, près de la frontière russe. Dans cette région, les frontières ont souvent été (qu’elles soient politiques ou linguistique), été très mouvantes.Lui-même, Zamenhof, était de culture juive, et il entendait parler autour de lui cinq ou six langues différentes: le polonais, le russe, etc...Eh bien au XIXème siècle il a essayé de mettre un terme à ces difficultés, en provocant la réalisation d’une langue qui échappe à cette cacophonie. Il a proposé ce qu’on appelle maintenant “l’espéranto”.