Romanciers ou linguistes ?
On souligne souvent que toute l'oeuvre de Tolkien repose sur sa passion des langues : il a d'abord inventé des langues, des phonologies, des étymologies et des alphabets, et en a ensuite comme "déduit" la vie de quelques hobbits, elfes et autres créatures. Démarche payante au vu du résultat.
Ce qui m'amène à deux considérations et une question :
1) les "gens de la rue" sont, plus souvent qu'ils ne le pensent, au contact de langues artificielles.
2) l'esperanto n'est pas la seule langue de ce type qui "ait réussi" comme on l'entend trop souvent dans la bouche de quelques samideanoj trop zélés, et par conséquent Zamenhof n'est pas un génie unique non plus. (Et puis d'abord c'est quoi "réussir" ? Le Quenya et le Klingon n'ont-il pas "réussi" pleinement ? )
3) La question : ce procédé, d'inventer d'abord une langue pour ensuite générer des fictions, est-il généralisable ? En d'autres mots, existe-t'il d'autres exemples où un romancier aurait d'abord inventé une langue pour nous emmener ensuite sur les rails débridés de son imagination lancée tel un galop de libellules vers des utopies célestes (hein ? Je vous le demande...)
Eh bien je n'ai pas de réponse à cette question (c'est frustrant, hein ?). Mais j'ai cependant sous la main un exemple qui tendrait à laisser croire que oui.
En 1988, paraissait chez Julliard un roman de Frédéric Bluche, "Chronique du Royaume d'Harkhanie". Je voulais partager avec vous l'avertissement qui figure en tête de cet ouvrage :
La langue harkhanienne est complexe. Rares sont les érudits qui maîtrisent son effroyable syntaxe, ses conjugaisons, ses neuf déclinaisons et ses huit cents verbes irréguliers. Je prie donc les spécialistes d'excuser le caractère imparfait de cette traduction. Mon ami le professeur Schmidt-Böhl, titulaire de la chaire d'harkhanien à l'Université libre de Heidelberg, a relu le texte original et approuvé cette version française, tout en reconnaissant qu'il était difficile de traduire certaines nuances. Je tiens à lui exprimer ma gratitude pour son aide aussi précieuse que désintéressée.
Le public s'étonnera de voir un traducteur publier sous son propre nom l'oeuvre d'un autre. La raison en est simple. Les événements ici rapportés mettent en cause des personnages que l'histoire officielle s'acharne depuis deux siècles à laisser dans l'ombre. Le royaume d'Harkhanie n'existe plus. Les trois puissances qui se sont partagé son territoire ne tiennent pas à voir exalter des souvenirs susceptibles de réveiller la conscience nationale d'un peuple aujourd'hui fondu dans le moule artificiel des traités de 1919. Aussi bizarre que cela paraisse, le texte qui suit sera considéré, dans plusieurs pays, comme subversif et relevant de poursuites judiciaires. C'est pourquoi l'auteur m'a demandé de signer moi-même ce livre. J'ai dû me rendre à ses arguments.
De ce texte étrange je n'ai rien voulu retrancher ni modifier. Le lecteur sera souvent surpris en y découvrant l'expression d'une ironie et d'une sensibilité historiquement dépassées. S'en offusquer serait condamner en bloc toute la littérature harkhanienne.
F.B.
Spécimen :
Höreh Harkhanyia !
Höreh walkh vën bärn
Bar harn rhiz önt Thann.
Zygteh, zygteh kharn !
Har thonnemt woresz
Har samt bärny walkh.
Hymne de Styber VIII le Grand
(la traduction est dans le roman... faudra le trouver !)
Libellés : esperanto

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